Ce que chaque jour fait de veuves
Ivan Cassagnau
En 1914, l’artilleur Ivan C., 24 ans, quitte son Sud-Ouest natal pour rejoindre les contreforts des Vosges. Scrupuleusement, il note, dans un récit factuel dépourvu de tout commentaire, les détails de la boucherie dans laquelle sont jetés des millions d’hommes. Au début sur un ton détaché, sans y croire vraiment, puis, au fur et à mesure que les morts deviennent plus nombreux que les vivants, avec une froideur qui constitue sa seule défense. Quelques détails heureux prennent une importance disproportionnée: la capture puis l’apprivoisement d’un oiseau, le bon accueil fait par les paysans d’un village, un mur qu’il faut reconstruire après l’avoir bombardé...
Cela semble de prime abord une guerre d’un autre âge, où les chevaux souffrent autant que les hommes, où l’infanterie et l’artillerie occupent la place maintenant dévolue à l’aviation et à l’électronique. Une guerre non « chirurgicale », en somme. Mais on y retrouve les avilissements d’aujourd’hui et d’hier : la dépendance vis-à-vis des besoins physiologiques les plus simples — manger, boire, dormir —, la négation des valeurs sociales — s’enivrer, c’est bien, piller, c’est bien — et de la vie humaine, la place de la propagande enfin. Peu d’héroïsme, et un patriotisme qui fond comme peau de chagrin devant l’absurde.
Inspiré de Mémoires authentiques, ce journal de guerre d’un artilleur s’arrête à Verdun, où fut blessé l’auteur du manuscrit.
Anne Parlange, auteur, chez Buchet/Chastel, du Souffle du Minotaure, a fait l’établissement et la présentation du texte. Elle est la petite fille d’Ivan Cassagnau.