Lucky, voleur de chevaux
Svetlan Savov
Au lendemain de la Perestroïka bulgare, trois garçons d’à peine plus de 20 ans grimpent dans un bus à destination de Paris pour y voler des voitures. Pendant des décennies, leur petite ville sur la Mer Noire avait été un lieu de vacances en vogue parmi les pays frères ; ce n’est plus aujourd’hui qu’une banlieue où l’attente du changement a pris les traits du sommeil. Plus personne ne croit à la formule magique Chute-du-mur-de-Berlin. Lucky, Marco et la Perche ont des rêves différents, mais tous trois ont décidé de forcer la chance ensemble. La France, ils se l’imaginaient comme dans les films de Louis de Funès, et leurs dernières illusions sur le monde libre n’y résisteront pas. Les squats, les grands magasins et leurs vigiles, la salle d’attente de l’OFPRA, le Franprix et l’Arabe-du-coin, jusqu’au premier séjour en prison, ce qu’ils apprendront dans cette Europe nouvelle, entre tristesse et indifférence, c’est ce que signifie être un étranger.
Forcer les serrures, contrefaire les papiers, maquiller les plaques, le vol de voitures est un artisanat. Les premières frayeurs, les premiers succès, le passage des frontières, Savov mène son récit tambour battant. Après l’euphorie, après quelques revers aussi, une question revient de façon lancinante : à quoi bon ? À quoi bon accumuler encore si l’on se condamne à vivre seul ? « Pas de femme à bord », c’est ce que répétaient ses compères à Lucky, tombé fou amoureux d’une métisse, lui qui avait eu tellement de mal au début, avec ces étranges étrangers, les Noirs, les Arabes. Cette fille, il la laissera échapper, mais ce sera l’amour, enfin, qui le sauvera : une petite Marie, qui faisait une fugue et de l’autostop. L’amour et aussi l’écriture.
Le roman vif et frais d’un immigré-des-Pays-de-l’Est.