Comment est née la modernité française ? Pour répondre à cette question, Paul Rabinow a repris la démarche initiée par Michel Foucault dans Les Mots et les Choses pour étudier l’évolution des représentations, des pratiques et des savoirs entre 1830 et 1930. C’est au cours de cette période que s’est mis en place l’appareil politique, social et intellectuel qui a produit les Trente Glorieuses. Des événements ont joué un rôle déterminant, comme l’épidémie de choléra de 1830 qui a mis en crise les représentations précédentes de l’hygiène sociale, l’émergence de la statistique qui a conduit au recul des approches morales au profit d’une vision de la société comme un tout, les laboratoires du paternalisme industriels comme Le Creusot, les controverses sur les conceptions architecturales (et notamment le rôle de Viollet-le-Duc), les avancées de l’urbanisme, et l’action de quelques figures de la colonisation, comme Lyautey et Gallieni, la première guerre mondiale… L’œuvre accomplie au Vietnam, à Madagascar et au Maroc apparaît ici sous un jour qui surprendra le lecteur : l’héritage colonial est loin d’être à rejeter en bloc. L’outre-mer apparaît comme l’un des laboratoires de la planification, de l’ingénierie sociale, et des projets urbanistiques qui ont pris, bien plus tard, la forme des villes nouvelles. Dans une post-face écrite seize ans après la publication de French Modern aux États-Unis, Paul Rabinow s’interroge sur les raisons qui font que la France semble avoir abandonné sa volonté d’être moderne au profit d’une problématique de la précaution et de la sécurité.